Yves Rodallec ou l'art du cadre - Hommage à un ami

Publié le 13/12/2022


Le 14 août 2022 s'est éteint Yves Rodallec (promo Ciné55), très grand cadreur de cinéma et témoin privilégié d'une certaine époque des tournages, inséparable de Maurice Fellous et du cinéma de Georges Lautner, notamment des mythiques "Tontons Flingueurs".

Rodallec a mis sa sensibilité, sa maîtrise technique et son art de la tête-manivelle au service de nombreux autres réalisateurs français comme Bertrand Blier, Jean-Louis Bertucelli ou Claude Pinoteau, mais aussi de grands cinéastes étrangers comme Andrejz Zulawski, Robert Wise, Sydney Pollack, Luigi Comencini ou Joseph Losey.

Losey l'avait marqué et il aimait souvent en parler avec son ami "Ago", alias Yves Agostini, très grand cadreur également ayant oeuvré dans les mêmes années. Les deux hommes s'étaient rencontrés en 1967 sur le tournage de "Fleur d'Oseille", de Lautner. Voici l'hommage qu'Ago a rendu à son ami "Roda" à l'occasion de son dernier voyage :

Mon cher Roda… (« professeur » comme t’appelait la profession)

Te voilà arrivé à t’endormir définitivement, comme tu me l’avais écrit dans une de tes dernières lettres (échéance et déchéance). Donc… Repose en paix…

On se connait depuis si longtemps, ton humour, notre carrière en parallèle… notre identique façon de penser sur notre métier, sur tous ces gens de cette profession que l’on aimait et aussi que l’on n’aimait pas… Mais toi, c’est une carrière exceptionnelle que tu as eue… quand on fait le compte de tous ces metteurs en scène de grande classe avec qui tu as eu la chance de travailler… ça veut dire aussi que tu étais à la hauteur pour travailler avec eux… la technicité… La vision… La confiance partagée… la connivence… etc… Mais aussi et c’est l’atout des grands professionnels (de la profession comme disait l’autre que l’on n’aimait pas vraiment), comme toi de défendre le métier… du cadreur évidemment, mais aussi du métier en général dans lequel il faut s’engager pour défendre la qualité pied à pied…  Plan après plan !!!!

Dans nos déjeuners nous nous remémorions les instants magnifiques et aussi critiques dans les relations que nous avions eu… mais à chaque fois on se disait que nous avons eu une chance inouïe d’appartenir à une époque où notre cinéma était au top !!!!! Des années 60 aux années 90… ça en fait des films… On se disait même (parce qu’on est méchants) qu’on est bien à la retraite pour ne plus être dans le cinéma d’aujourd’hui tellement il a changé…

Ben tu vois… ça me fait un grand vide ta disparition… émotionnel évidemment… et c’est un grand pan de mémoire du cinéma qui disparait… heureusement que tu m’as envoyé les écris que tu as fait.

Et il y a aussi l’affection que tu avais avec moi… tu disais souvent que j’étais ton frère… ça m’a fait énormément plaisir quand tu l’as écrit la première fois et pour moi aussi c’était partagé… Donc, j’ai perdu un frère de cœur et de qualité…

Voilà mon Roda… j’aurais pu dire encore beaucoup de choses… mais bon… je garderai tous ces bons moments passés ensemble dans ma petite tête… Toute mon affection à ta famille et grosses bises à Sue qui a été d’un grand courage jusqu’au dernier moment… J’aurais toujours le son de ta voix dans mes oreilles.

Et maintenant, tu vas faire ton dernier travelling… je sais… c’est pas drôle… mais ça aurait pu te faire marrer…

Yves Ago

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Lire l'article du Figaro consacré à Yves Rodallec

 

Yves Rodallec descendit la tyrolienne à côté de Belmondo dans Flic ou voyou pour pouvoir filmer le comédien-cascadeur en gros plan