Agnès Varda : Inspiration – Création – Partage

Publié le 19/05/2019


Agnès Varda  sur l'affiche Cannes  2019

 

Et voilà que disparait Agnès Varda dans la nuit du 28 au 29 mars. Ça me touche ! Je ne suis pas le seul. Je suis un baby-boomer qui a grandi avec ses œuvres - adolescent, adulte et sénior - comme avec celles de Jacques Demy. Dans ces cinéastes aux univers si différents et couple à la ville, j’ai toujours trouvé des réponses en miroir à mes propres interrogations sociétales du moment comme, à mes désirs de beau, à mes besoins d’imaginaire chantée et enchantant qui eux sont au long cours.

Si j’avais vu Les plages d’Agnès, je n’avais pas encore vu Varda par Agnès. Absent de France à sa sortie j’avais manqué Jacquot de Nantes, trois films documentant le cinéma par les moyens du cinéma. Je n’avais  pas vu encore Villages - Visages conçus, réalisé et commentés par JR et AV, sur une proposition de sa fille Rosalie Varda.

Comme les trois autres, cette dernière œuvre nous permet d’approcher, dans une sorte de praxis documentaire, la double exigence « moteur » de la création artistique : la première est une quête personnelle strictement personnelle motivant passionnément le créateur-chercheur, la deuxième renvoie au besoin tout aussi profond du partage émotionnel avant tout, raisonné souvent en arrière-plan, avec les spectateurs de tout œuvre.

Inspiration – Création - Partage

Dans ces quatre films de transmission sur le désir de cinéma, Agnès Varda a su leurs donner l’intense densité cinématographique, la seule qu’en tant que réalisatrice elle souhaitait léguer. A les avoir reçu, j’ai pu réactiver les principales étapes de ma propre vie vers le cinéma et dans le propre exercice de mon métier en tant que professionnel et comme formateur.

 

   

      

 

Imaginaire et Réel, même représentation finale sur l’écran

 

Agnès Varda dès la pointe courte propose le docu-fiction ou la fiction documentarisée et ne va cesser de mettre en œuvre ce mélange. Pour elle, cela permet de construire, c’est dire de créer proprement le film une fois que  l’inspiration, c’est à dire l’impérieux et exigeant désir de filmer un thème se soit imposé au cinéaste.

Dans Varda par Agnès, elle insiste sur une pulsion  très courte entre l’inspiration et le moment de créer, en moins de 24h. Elle est à San Francisco à la recherche d’un Oncle éloigné qu’elle n’a jamais rencontré, un oncle d’Amérique. Elle se donne les moyens d’obtenir rendez-vous avec le risque qu’il ne soit pas l’oncle recherché – là est l’inspiration. Coté création : la forme ? Quel dispositif formel peut-on imaginer en si peu de temps de réflexion pour garder trace de l’émotion négative ou positive de la rencontre ? On est en 1967 et le résultat à l’écran d’Uncle Yanco est jubilatoire : Oui elle est bien la fille d’Eugène Varda et la joie par la forme cinématographique explose, chapeau !

La Cinécriture pour Agnès

En effet miroir je la rejoins lorsqu’elle crée le mot ciné-écriture comme équivalent au mot style en littérature, ce que pour ma part j’appelle la relation fond/forme

A propos de la structure du film Sans toi ni loi, laissons Varda décrire sa créativité : « Il y a 13 travelling. Chaque travelling roule de droite à gauche ce qui est un peu contrariant car ce n’est pas le sens de lecture, en tout cas en occident. Nous sommes dans des paysages de campagne agricole pas particulièrement plaisants mais à la fin de chaque travelling nous quittons Mona pour filmer un évènement ou un objet local. Au cours du film environ 10mn plus tard, le travelling suivant commence avec un objet ou un élément équivalent. Ça me plaisait d’installer une petite intrigue dont j’avais le secret » dit-elle de façon gourmande et malicieuse à l’écran, «le film entier est un portrait en forme de travelling discontinu. » On peut se permettre de rajouter que le portrait doit sa réussite à la complémentarité entre le choix volontaire de cette forme et la présence de la si convaincante Sandrine Bonnaire dans ses foucades rebelles.

     

 

                                          

 

Parlant et montrant la scène extraite du Bonheur où Jean-Claude Drouot découvre noyée le personnage de sa femme dans le film (et sa femme dans leur propre vie, eux qui avaient accepté le challenge de la réalisatrice), Varda commente « C’est un drame. Il ne peut pas supporter ce moment. En fait il n’arrive pas à le vivre. Alors au montage j’ai utilisé, essayé et réutilisé la répétition » de Jean-Claude soulevant la tête de  la noyée. Et le bonheur précédait d’une bonne quinzaine d’année Sans toi ni loi.

                                                    

 

Jacques Demy écrivait en détail son enfance, il se refusait d’en faire un scénario et encore plus de le tourner au vue de ses forces, mais  il en confia le défi à sa compagne créatrice plus ici qu’à son épouse. Avant qu’il ne disparaisse pour l’aider, par amour elle le filma non pas comme une voyeuse, mais dans la forme qui convenait à l’intimité, à leur intimité, à l’aide qu’elle souhaitait lui apporter « l’aider au plus près et en terme de cinéma cela donne des plans extrêmement rapprochés ».

 

             

 

Ces plans rendent émotionnellement présent Demy dans Jacquot de Nantes, cela peut s’écrire avec des mots mais de façon plus ou moins vaine; cela s’expérience à l’écran instantanément pour nous spectateurs.

 

                                  

 

Agnès et JR

 

                

 

Désormais, bouclant la boucle, et avec un consentement complice dans Visages-Villages, JR filme au même niveau d’intimité, les mains, les pieds, l’œil et le regard d’Agnès. Bien évidemment il en fait un acte créateur à la JR, un acte qui touche les protagonistes de certains plans du film telle une balle - tirée à bout d’écran- émotionnellement esthétique, les atteignant aux yeux et au cœur comme elle nous impacte et nous touche à l’identique nous les spectateurs de la salle : un partage mais pour les créateurs un besoin de re-connaissance.

 

 

Sans risquer d’être contredit, on constate qu’Agnès Varda, Photographe-Réalisatrice - Plasticienne,  aura mis autour du mot reconnaissance, une énergie constante pour écrire elle-même, avec des images et des sons, sa propre auto- créato - filmographie. ici aussi, elle est pionnière.

Dominique Bloch

Jacques Demy et Agnès Varda sont des Anciens de notre école, fallait-il le rappeler ?